Est-il bien vrai que je veille
Et que mes yeux soient ouverts ?
Quelle étonnante merveille
Frappe aujourd'hui l'univers !
Launay, le ciel nous seconde !
Tes efforts sont superflus :
Un seul instant l'airain gronde
Et la Bastille n'est plus !
Que le beau feu qui m'anime
T'électrise en ce moment,
Français ! peuple magnanime,
Cède à mon ravissement.
L'exécrable despotisme,
Implorant de vains secours,
Soudain aux cris du civisme,
A vu s'écrouler ces tours.
D'une terrible épouvante
Remplissant tout Jericho
Tel est son ardeur bouillante
Josué jeune héros
De la trompette guerrière
Au éclats retentissants
Voit de cette ville altière
Tomber les murs insolents !
Toi qui déchirant ton âme
Au récit de tes malheurs
De cette Bastille infâme
Nous dévoile les horreurs
Épargne à l'homme sensible
Le trop douloureux récit
Pour peindre ce lieu terrible
Sur cent traits, un seul suffit
Des cris perçants et funèbres
Poussés par désespoir
Font du prince des ténèbres
Abhorrer l'affreux manoir
Mais peuplé de tous les vices
L'enfer, séjour du démon
N'est qu'un palais de délices
Auprès de cette prison
A l'heure si fugitive
Quand reprochant sa lenteur
Ici vertu plaintive
Succombait à sa douleur
Qui régnait sur ma patrie ?
Qui donc lui donnait ses lois ?
Était-ce dans leur furie
Ou des monstres, ou des rois ?
Saturnes abominables
Qui dévorez vos enfants
Qui des pleurs misérables
Engraissez les courtisans
Si quelques dieux tutélaires
Aux mortels vous ont donnés
Fût-ce pour être des pères,
Ou des bourreaux couronnés ?